Gros malaise au sein du ballet de l'Opéra national de
Paris
Le 15 avril dernier, un document interne de 176 pages émanant
de la Commission d'Expression Artistique donnait à lire le malaise criant des
154 danseurs du ballet. Dans ce sondage, qui n'aurait pas dû se retrouver
dans la presse, près de 90% des danseurs remettaient en cause la direction
brutale d'Aurélie Dupont et de Stéphane Lissner. Les 3/4 d'entre eux se
disaient victimes ou témoins de harcèlement moral et un sur 4 témoins ou
victimes de harcèlement sexuel.
24 heures plus tard, une lettre de soutien à la direction
était publiée dans la presse signée par une centaine de danseurs. Ensuite,
silence radio ! Impossible d'avoir une quelconque information de l'Opéra. Ni
les danseurs, ni la direction, ni même le délégué syndical CGT ne souhaitant
s'exprimer.
Capture d'écran de ce sondage qui n'aurait pas dû se retrouver dans la presse
"Tout le monde a peur"
Des heures au téléphone, sur les réseaux sociaux, et même sur
le trottoir de l'Opéra, rien n'y a fait. Le seul qui a finalement accepté de
nous parler de cette crise est un ancien danseur étoile, aujourd'hui professeur
au ballet.
C'est digne d'un fonctionnement soviétique ici. Les danseurs
craignent que s'ils expriment quelque chose, ils seront moins aimés par la
direction, et finiront black listés. Pourtant, à mon époque, c'était encore
pire : la soumission était de mise partout et pour tout le monde.
Aujourd'hui, les danseurs ont plus de liberté mais ils ont aussi un gros
problème avec le respect de l'autorité. Alors ils se plaignent tout le temps
mais sans en assumer les conséquences. Cette fuite met le doigt sur ce paradoxe
!
Julien, (nom d'emprunt) ancien danseur étoile, professeur au ballet.
L'Opéra national de Paris fêtera l'année prochaine ses 350 ans
d'existence• Crédit photo Cécile de Kervasdoué - Radio France
Car dans ce
sondage anonyme qui, croyaient-ils, resterait en interne, les danseurs se
lâchent sur leur direction : "aucune compétence en management",
"elle est nulle, froide, cassante", "on nous parle comme à des
gosses", "on n'a jamais aucun retour", "un peu d'humanité
!" Et la demande qui revient sans cesse : "il faut que la
direction dialogue avec les artistes !"
Il y a une
grande souffrance ici et depuis des années, mais personne ne vient nous voir
pour en parler. Alors la direction peut prétendre que nous affabulons. Il faut
que cette affaire force l'équipe de Stéphane Lissner à intervenir
concrètement sur les risques psychosociaux.
Un élu syndical qui préfère rester anonyme
A la
direction, une succession mal gérée
Jusqu’à
2014, le ballet de l'Opéra de Paris a été dirigé pendant plus de 20 ans par la
danseuse et chorégraphe Brigitte Lefèvre. Pour faire face à la
baisse des dotations publiques (moins 10 millions d'euros en 10 ans, soit 45%
du budget de l'Opéra) et à la compensation massive du mécénat privé (plus
de 15 millions d'euros en 10 ans) les productions se sont multipliées, mais
avec le même nombre de danseurs. Manques de répétitions, de préparation :
les blessures se multiplient dans la compagnie.
Sur 154
danseurs environ, 50 ont été gravement blessés et ne peuvent plus assurer
toutes les productions. Ce sont des "danseurs fantômes" souffle
une élue syndicale qui préfère rester anonyme. Cet aspect est d'ailleurs
ouvertement accepté par la direction : lorsque la compagnie part en
tournée, l'Opéra recrute une cinquantaine de remplaçants, en cas de blessures
des danseurs titulaires.
Le seul
mérite que le ballet retient du chorégraphe Benjamin Millepied, qui a
succédé à Brigitte Lefèvre pendant moins de deux ans, est d'avoir instauré un
système interne d'aide médicale spécialisée pour les danseurs. Pour le reste,
les titulaires de la compagnie se souviennent sans regret d'un homme en sweat à
capuche, les yeux sans cesse rivés sur son téléphone portable.
Il
encourageait les danseurs à aller sur les réseaux sociaux, à faire la comm' de
l'Opéra ! Benjamin Millepied est venu avec sa culture, son mode de
fonctionnement à l'américaine, sans aucune connaissance du répertoire de
l'Opéra de Paris. Il a imposé des pédagogues et des chorégraphes
américains, faisant voler en éclat l'un des socles de la compagnie, à savoir la hiérarchie du corps de ballet.
Ainsi, il faisait danser des petits jeunes à la place des danseurs étoiles, et
tout le monde était complètement perdu !
Aurélie Dupont a tenté de revenir la
hiérarchie, mais à l'inverse, cela a créé d'autres frustrations.
"Les mains sont les vecteurs des émotions" confie
cet ancien danseur qui préfère rester anonyme• Crédits : Cécile de
Kervasdoué - Radio France
Julien, (nom d'emprunt) ancien danseur étoile, professeur au ballet
La danse
contemporaine, le nœud du malaise ?
Beaucoup de
danseurs attendaient d'Aurélie Dupont un retour non seulement à la hiérarchie
du corps de ballet, mais surtout au répertoire de danse classique ou
néoclassique qui est le domaine réservé de l'Opéra de Paris. C'était une
promesse de la nouvelle administratrice; promesse non tenue. D'où leur
déception, après presque deux saisons où ils continuent d'enchaîner du ballet contemporain.
Ce sont deux
techniques complètement différentes. Les danseurs passent des heures à
travailler, la ligne ou les pointes, pour se retrouver le soir sur une
production contemporaine. C'est comme si vous vous entraîniez à chanter du
Wagner toute la journée pour vous produire dans du Bel Canto ! A la fin, ça
casse !
Julien, (nom d'emprunt) ancien danseur étoile, professeur au Ballet
Mais ce
malaise n'a rien de nouveau ! La politique de promotion de la danse contemporaine a
commencé il y a 30 ans et s'est faite souvent au détriment de la musique
classique.
C'étaient
des choix politiques ! Dans les années 1980, critiques, intellectuels et
politiques ont suivi l'idéologie qui considérait que la danse classique était
ringarde, dépassée, d'un autre âge. Ils ont donc misé sur la danse
contemporaine (avec notamment tous les Centres Chorégraphiques
Nationaux en régions) mais ils n'ont pas soutenu le classique
et le néo-classique. L'effet pervers est que 30 ans plus tard, alors que les
pays anglo-saxons ou la Russie foisonnent de chorégraphes, nous, en France,
nous n'avons pas la relève de Béjart ou Petit. Nous ne nous sommes pas donné les moyens
de créer la danse classique du XXIe siècle. Et c'est je pense, la raison
profonde de la crise à l'Opéra.
Sylvie Jacq Mioche, historienne de la danse
et professeur à l'école du ballet
Pourtant ce
sujet n'est pas au cente des querelles au ballet de l'Opéra de Paris. Mercredi
18 avril, une réunion d'urgence du ballet s'est tenue à huis clos. Pour éviter
les fuites, les téléphones portables des artistes étaient déposés dans une
glacière à l'entrée, et les règlements de compte ont commencé. D'abord les
excuses des élus de la Commission d'Expression Artistique qui avaient monté ce
sondage, dont certaines voix fustigeaient les questions orientées. Ensuite, la
surprise de l'assistance d'apprendre que le document avait été rédigé via
l'aide d'une personne mystérieuse assistée d'un juriste.
C'est une
manipulation destinée à ternir notre institution et à nuire à notre directrice
! s'énerve l'élu CGT qui n'a pas souhaité être interviewé
Contactée
par nos soins, la direction n'a pas non plus donné suite à nos demandes
d'interview. source France culture
Cécile
de Kervasdoué
Cette enquête date d'avril 2018, que s'est-il passé depuis ! il semble que rien ne bouge dans cette vieille institution, l'omerta toujours, la peur de parler, tout le monde marche sur des pointes ! ART DANSE CULTURE, ouvre la porte aux témoignages des danseurs et danseuses qui resterons anonymes sur art danse culture.