Hugo
Marchand (Photo : Joseph Degbadjo / Stylisme : Vanessa Ntamack)
Car Hugo
Marchand, c'est 1,92 m, un corps puissant, très musclé, pas évident pour entrer
dans le moule. « Je n'étais pas dans les cases pour l'école de danse. Il y
a des critères de poids et de taille, moi ça ne passait pas. J'étais déjà trop
grand et beaucoup trop lourd, donc on a dû tricher sur mon dossier quand on l'a
envoyé. Et ça a continué. Quelques années plus tard, ma taille restait un
handicap : j'étais trop jeune pour être considéré comme un grand et trop grand
en taille pour être considéré comme un jeune. Donc je n'ai pas pu danser les
petits rôles d'enfant qu'on pouvait faire dans les ballets, style
Casse-Noisette. Je ne me sentais pas vraiment inclus dans la vie de l'école de
danse.
Hugo Marchand (Photo : Joseph Degbadjo / Stylisme : Vanessa Ntamack)
j'ai très
vite su que je voulais être étoile. Je voulais briller, je voulais m'exprimer
en dehors du groupe. Et je n'avais pas le choix, j'étais toujours trop grand,
celui qui bouge trop, celui dont on dit dans un groupe : ce n'est pas possible,
on ne voit que lui. Si je n'avais pas été nommé étoile - et j'ai eu peur à un
moment de ne pas l'être quand Benjamin Millepied, le directeur de la danse, est
parti et que je n'étais pas une priorité pour Aurélie Dupont -, je serais parti
le devenir ailleurs, aux États-Unis ou à Londres. »
Le kiné du
perchiste Renaud Lavillenie, Dimitri Gratia, m'a sauvé la cheville après ma
blessure.
Hugo Marchand (Photo : Joseph Degbadjo / Stylisme : Vanessa Ntamack)
De fait,
Hugo Marchand a fait exploser le moule du danseur classique. Sa différence
aujourd'hui est un atout. Un grand danseur se voit de loin, peut danser avec
toutes ses partenaires, et donne surtout une autre dimension à son art :
Marchand est un athlète, un marathonien qui connaît son corps, ses faiblesses.
« Plus on est grand, plus on a de chances de se blesser. On est plus
lourd, les articulations subissent des chocs plus violents à la réception des
sauts. C'est plus compliqué d'être un virtuose, d'avoir une technique dynamique
et d'exploser ; le poids du corps étant beaucoup plus haut, on peut être
déséquilibré par la longueur de nos membres. Le temps qu'on va mettre à se
redresser, on va le perdre en vitesse, en propulsion ou en hauteur de saut. Il
faut faire un travail complémentaire de gainage, de renforcement des
articulations. J'ai eu une très grosse blessure au pied l'année dernière, qui a
été très compliquée à gérer. Ma cheville était très instable. J'ai rencontré en
début de saison Dimitri Gratia - le kiné du perchiste et champion olympique
Renaud Lavillenie - qui m'a vraiment sauvé la cheville. Je le vois maintenant
une à deux fois par semaine, en prévention, en récupération. »
Il est 18
heures dans ce café du 11e arrondissement, la soirée est presque finie pour
Hugo Marchand qui doit se reposer ; demain il y a Le Lac des cygnes, un truc
fou, une sorte de triathlon de la danse qui demande un maximum de préparation
et de récupération. Mais... « Mais voilà, quand j'ai fini, que je suis
crevé, je n'ai pas forcément envie de passer trois quarts d'heure à m'étirer
seul dans ma loge. Logiquement, c'est ce que je devrais faire, et aussi faire
descendre le taux d'adrénaline pour ne pas rester perché trop longtemps parce
que ça empêche de dormir. Après Le Lac des cygnes, vendredi soir, j'en avais
ras le bol, j'étais épuisé. Je ne me suis pas étiré, j'ai préféré décompresser
avec des potes autour d'une bière. Résultat, je me suis endormi à 4 heures du
matin. Réveil à 7 heures pour un rendez-vous à 8 heures.
Hugo Marchand (Photo : Joseph Degbadjo / Stylisme : Vanessa Ntamack)
Niveau de
récupération : zéro. Je l'ai payé, j'ai eu mal tout le week-end. J'ai une
représentation demain, ça va être chaud. Ce qui me rapproche du sportif de haut
niveau, c'est ça : la préparation du corps, le moment du spectacle qui est mon
moment de compétition. Mais pas en termes de performance. Mon but, ce n'est pas
de sauter plus haut qu'en répétition, mais de raconter de la plus belle manière
que ce soit l'histoire de mon personnage en réalisant les difficultés
techniques le plus précisément et athlétiquement pos Se sculpter à coup de
canapé
Pas de bière
aujourd'hui, c'est thé pour lui, tisane pour moi. Pour le glam, on repassera.
On embraye sur Hugo enfant, gymnaste de 7 à 10 ans. Le sol, les barres
parallèles ou fixes, les anneaux, le cheval d'arçon, le gainage, la discipline,
l'effort, les championnats, il connaît tout ça. Est-ce que ça sert au danseur
qu'il est devenu ? « Oui et non. Non au niveau du buste que nous devons
gainer contrairement au gymnaste. Oui pour la souplesse. C'est ma chance : je
suis très grand, mais très souple. En fait, mon problème a été mes pieds plats,
mes bras tordus. Je me suis littéralement sculpté. J'ai travaillé mes pieds
dans la douleur : je mettais mon canapé sur les pieds pour articuler les
chevilles, créer de l'amplitude au niveau des ligaments. Je le paie
aujourd'hui. Depuis deux ans je travaille sur un livre, et ce n'est pas un
album de belles photos d'une étoile avec sa couronne sur la tête. Non, je veux
parler de ce que c'est que d'apprendre un métier jeune, l'apprentissage depuis
l'âge de 12, 13 ou 14 ans. Ça c'est concret, ça parle à tout le monde.
L'histoire
d'un enfant qui, par passion, quitte très jeune sa famille, ses copains, la vie
qu'il connaît. Un enfant qui doit gérer ses angoisses, qui prend le train seul
le soir, qui arrive seul à Paris. Les cours à l'école de danse avec lever à 6
heures du matin, pour finir à 19 heures, les devoirs, interdiction de sortir,
pas d'accès au monde extérieur, pas de télé - et à l'époque il n'y avait pas
les réseaux sociaux. C'était très compliqué d'être bien sa peau. C'est
important d'en parler. Notre génération est différente des danseurs étoiles qui
nous ont précédés. On veut être très accessibles, pas du tout se positionner
comme Aurélie Dupont ou Manuel Legris qui étaient très starifiés, se faisaient
rares et qui du coup étaient encore plus seuls que nous. On a envie d'être
médiatisés, de porter l'institution, de vraiment démocratiser la danse.
Ça passe par
accepter d'aller à la télé, et pas seulement sur Arte, mais de faire des
émissions de sport par exemple. Être associé au sport, toucher ce public-là,
c'est important pour décoincer le regard qu'on porte sur nous. Je suis étoile
et je réponds à L'Équipe ? C'est naturel pour moi, je m'y retrouve
complètement. Démocratiser la danse, c'est aussi faire des petits galas en
France et pas que les grands opéras. C'est aller danser à Poitiers, Toulouse,
Biarritz et pas seulement au New York City Ballet - à Paris, le ballet est
réservé de fait à une élite, même si des efforts sont faits sur le prix des
places. »
sible. »
Sa vie
d'étoile en jogging
Ce corps
sculpté s'intéresse-t-il à la mode ? Prenons plutôt la question à l'envers :
quel regard cette étoile d'1,92 mètre porte sur le vêtement ? « Je ne suis
pas facile à habiller. J'ai des jambes très musclées, les pantalons me serrent
vite, il faut que je trouve des choses amples, simples, élégantes. J'aime
beaucoup ce que font Agnès b. ou Haider Ackermann, qui en plus est très
cultivé, avec qui on peut échanger. Ce serait pas mal d'être associé à une
campagne pour Lacoste ou Armani. Bien sûr la mode s'intéresse aux danseurs. Et
pas que la mode d'ailleurs, je suis sponsorisé sans rémunération par une marque
qui m'aide à mieux manger ; des compléments alimentaires que je reçois
gratuitement en échange de mon image. C'est une bonne chose pour donner une
autre vision que celle du danseur étoile mystérieux replié au fond de son
opéra. Je reviens aux vêtements parce que c'est un peu compliqué. D'un côté, on
est moulés sur scène, et c'est quand même étrange de passer une partie de sa
vie en collant. De l'autre, on se balade toute la journée, de studios en loges,
dans des joggings en pilou. On est tous là avec nos guêtres, nos couettes...
L'opéra, c'est une énorme pyjama party quand on y pense. »