Alexander Neef le nouveau directeur
C’était une première. D’ordinaire, les passations sont informelles et ne se déroulent pas au ministère. Mais la situation de la maison lyrique, deuxième dotation publique nationale (95 millions d’euros) après le Louvre, 1 900 salariés, bientôt trois salles et un budget totalement plombé (45 millions de pertes au printemps, depuis, on ne compte plus car la maison a fermé pour travaux), exigeait que les pouvoirs publics, surtout Bachelot, amoureuse du lyrique, «qui irrigue [s]a vie depuis toujours», montrent qu’ils prenaient l’affaire bien en mains. D’où le raout rue de Valois.
«Tout le
modèle de fonctionnement à repenser»
D’emblée, la
ministre a souligné qu’elle était l’alliée de toutes les familles, au prix de
grands écarts acrobatiques. Elle a félicité Lissner pour son travail
exceptionnel : «Sous votre mandature, l’Opéra de Paris a rayonné comme
rarement, en attirant les meilleurs. Vous pouvez partir la tête haute.» Pour
accentuer la solennité de l’adresse, Bachelot a même chanté une mesure de Don
Carlos. Après ces louanges, barre à 180 degrés, première balle. Elle a
rappelé que l’institution est «artistiquement et financièrement exsangue», et
qu’elle a besoin d’un «capitaine solide, prêt à tenir la barre pour
traverser la tempête». Rappel : Lissner aurait dû partir en
juin 2021. Il a finalement avancé sa date de départ à janvier et la
ministre a estimé qu’il ferait mieux de quitter l’Opéra dès septembre, étant
donné qu’il est, depuis avril, le directeur du théâtre San Carlo de Naples. On
a vu meilleur capitaine dans ces «situations d’urgence».
Elle a ensuite posé son regard sur Alexander Neef, le nouveau directeur, désigné l’an dernier par Macron, et qui a dû quitter précipitamment la tête de l’Opéra de Toronto – où il lui reste néanmoins quelques affaires à régler d’ici janvier. Neef a dû avoir des sueurs froides quand elle a affirmé que l’Opéra devait se transformer en profondeur, que la situation catastrophique de ces derniers mois avait une origine plus lointaine encore. «C’est tout le modèle de fonctionnement qu’il faut repenser», a-t-elle tonné avant de pencher la tête vers le président du conseil d’administration – de la team Lissner – et, souriante, de l’exhorter à soutenir le petit nouveau, comme elle aurait dit : «Si tu lui tues ses bêtes avant même qu’il ait commencé, je ferme le ranch.» Puis elle a apaisé les montées de testostérone en sussurant : «Ne doutez pas de mon soutien.»
Pour Roselyne Bachelot, l'Opéra de Paris doit "se transformer en profondeurMais
voilà : comment tout transformer quand les caisses sont vides ? Bonne
nouvelle pour le nouveau : Bachelot s’est engagée à soutenir
financièrement le redressement de l’institution ; alleluia, Riester
n’avait jamais promis cela. La ministre n’a pas précisé l’enveloppe qu’elle est
prête à lâcher pour sauver l’Opéra de Paris, mais elle sera au format A3.
Attention néanmoins : elle lui adjoint une commission, avec un tandem
nommé pour une mission de réflexion, «une mission de confiance».
Georges-François Hirsch, ancien directeur de l’Opéra de Paris, et Christophe
Tardieu, ancien directeur adjoint, sont sommés de mener «un diagnostic
sans concession» de la situation de l’institution et de proposer sans se
censurer un maximum de pistes artistiques, organisationnelles, de statut…
uniquement guidés par l’intérêt du rayonnement de l’Opéra de Paris dans le
monde. Rendu des copies mi-novembre.
«Pas une révolution mais une évolution» Pour montrer que «[s]on ambition n’est pas mince», Bachelot a ensuite élargi le champ du troupeau en évoquant la province : les opéras nationaux en région, les théâtres lyriques d’intérêt national et tous les autres aux statuts divers qui drainent, chaque année, 2 millions de spectateurs (comme au Puy-du-Fou). Elle a chargé Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille, de conduire une commission pour réfléchir aux problématiques de ces institutions par temps de Covid-19, en passant de la mutualisation au développement des publics ou à l’implication des collectivités territoriales. «Mon soutien sera total. L’opéra, fusion inégalée de toutes les émotions, peut et doit rester un art vivant et actuel. Et non devenir un astre mort.» Puis, après avoir calmé toutes les fureurs de manière presque hypnotique à grands coups de confiance en son carnet de chèque, elle a passé le micro à Lissner.
Cérémonie d'accueil à Alexander Neef à la tête de l'Opéra
national de Paris et annonce de la création de deux missions
Alexander Neef, ensuite, coiffé impeccable, élégant comme au sortir du tailleur (pas du tout le genre poncho), d’un joli timbre de baryton, a expliqué en français, lisant ses notes manuscrites, qu’il était heureux d’avoir un soutien financier, qu’il ferait en sorte de fédérer toute la diversité de la société, sur scène et dans le public. «Je ne veux pas une révolution, mais une évolution respectueuse de l’ADN de l’institution, qu’elle puisse se projeter dans le XXIe siècle, qui n’est pas forcément celui du star-système ou de la mondialisation. Il faut trouver une identité qui corresponde à notre époque», a-t-il conclu. Et les meutes ont applaudi, en ayant la confiance absolue qu’il allait se passer des choses intéressantes cette saison. https://next.liberation.fr/ source libération
Ministère de la culture https://www.culture.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Ceremonie-d-accueil-a-Alexander-Neef-a-la-tete-de-l-Opera-national-de-Paris-et-annonce-de-la-creation-de-deux-missions